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quelque retraite inconnue. Dans le fond de la baie, des chaloupes, leurs voilures amenées, pêchent la sardine. On dirait de petites taches d’encre tombées, on ne sait comment, sur cette immense page blanche de l’Océan.

Et nous filons grand largue, de temps en temps rafraîchis par les embruns qui viennent nous fouetter le visage, pluie bienfaisante. Penhoat, mon matelot, surveille l’écoute de brigantine, et, lentement, sans mot dire, faisant toutes les minutes gicler un jet de salive brune de sa bouche gonflée par la chique, dévide des paquets de lignes, tandis que Laumic, le mousse, penché sur le bordage, essaie d’accrocher, avec la gaffe, les bouées des casiers que nous rencontrons, ou bien s’amuse à regarder les gottes qui apparaissent, soudain, à la surface, s’ébattent, secouent leurs ailes et plongent pour reparaître plus loin. Moi, je suis à la barre, les yeux et l’esprit perdus dans cette immensité qui nous entoure, le cœur apaisé par ce silence que berce la molle lamentation des