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L’erreur est un crime, l’erreur est une trahison…

Si grande était ma stupéfaction que je ne songeai pas un seul instant à protester, à le rappeler à la pudeur de soi-même, à lui montrer le pilori, dont trente années d’oubli, mais non de pardon, n’ont pu le déclouer. Et pourquoi y eussé-je songé ? À quoi bon ?… Puisque, il n’y avait qu’une minute, rien qu’à entendre son nom, M. Émile Ollivier n’avait pas frissonné de honte, ni claqué des dents, de terreur ; puisqu’il ne s’était pas caché, sous sa couverture, la tête ; puisqu’il n’avait pas pensé à se fracasser la cervelle, en se jetant par la portière, dans la nuit…

Oui, à quoi bon ? Car je comprenais maintenant le secret effarant de cette attitude ; j’avais l’explication de cette affolante inconscience :

MONSIEUR ÉMILE OLLIVIER AVAIT TOUT OUBLIÉ !

Devant un aussi étrange phénomène pathologique, ma colère se calma soudain ; et d’une voix douce, comme on parle aux malades et aux pauvres fous :

— Allons ! lui dis-je… Voici la nuit… Roule-toi dans tes couvertures, allonge-toi sur les coussins, tais-toi, surtout… et dors !

Hier, j’ai suivi sur les Allées M. Émile Ollivier, qui se promenait avec M. d’Haussonville… Il était fort agité… Et je l’ai entendu, qui prophétisait encore les plus affreux malheurs sur la France…