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semblables à des casernes et à des asiles d’aliénés, qui s’allongent les uns à la suite des autres, indéfiniment, sur une seule ligne, au fond d’une gorge brumeuse et noire, où toussote et crachote sans cesse, ainsi qu’un petit vieillard bronchiteux, un petit torrent. Çà et là, quelques étalages installés au rez-de-chaussée des hôtels, boutiques de librairies, de cartes postales illustrées, de vues photographiques de cascades, de montagnes et de lacs, assortiments d’alpenstocks et de tout ce qu’il faut aux touristes. Puis, quelques villas, éparpillées sur les pentes… et, au fond d’un trou, l’établissement thermal qui date des Romains… ah ! oui… des Romains !… Et c’est tout. En face de soi, la montagne haute et sombre ; derrière soi, la montagne sombre et haute… À droite, la montagne, au pied de laquelle un lac dort ; à gauche, la montagne toujours, et un autre lac encore… Et pas de ciel… jamais de ciel, au-dessus de soi ! De gros nuages qui traînent d’une montagne à l’autre leurs pesantes masses opaques et fuligineuses…

Si la montagne est sinistre, que dire de ces lacs – oh  ! ces lacs! – dont le bleu faux et cruel, qui n’est ni le bleu d’eau, ni le bleu de ciel, ni le bleu de bleu, ne s’accorde avec rien de ce qui les entoure et de ce qu’ils reflètent ?… Ils semblent peints – ô nature ! – par M. Guillaume Dubufe, quand cet artiste, aimé de M. Leygues, s’élève jusqu’aux vastes compositions symboliques et religieuses…

Mais, peut-être, pardonnerais-je aux montagnes