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nobles indulgences, aux plus complets pardons. J’en était arrivé à cette exaltation, à ce paroxysme de souhaiter, pour M. Émile Ollivier, la mort qui libéra Bazaine. Et j’invoquais fiévreusement je ne sais quelle divinité abstraite, qui ne m’entendait pas :

— Il a assez marché, il a assez traîné sur la terre sa pauvre guenille. Grâce ! qu’il s’arrête enfin quelque part, n’importe où, ne fût-ce que sous l’ombre d’un saule, dans le coin d’un cimetière ignoré !…

Un banal incident de portière, à propos de quoi deux voyageurs disputaient pour savoir si elle devait être ouverte ou fermée, et qui nécessita notre intervention, nous lia fort à propos. Et, sans plus de cérémonies, nous nous présentâmes l’un à l’autre. Ah ! la vie !

— Charmé, monsieur…

— Enchanté, vraiment…

— Monsieur !

— Monsieur !

Mais, en dépit de ces salutations cordiales, il ne nous était pas possible de parler librement, tant que ces deux voyageurs, d’assez mauvais ton, du reste, seraient là, à nous espionner. Par bonne éducation, autant que par pitié, je ne voulais pas livrer aux quolibets grossiers de ces rustres, de ces franco-rustres, et, peut-être, à leur ignorante colère, ce personnage en toque écossaise, ce paria désarmé et douloureux, ce lamentable Juif-Errant de