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arrête, puis, peu à peu, se déploie par mouvements saccadés.), qui sème son blé… (Enflant graduellement la voix.) qui fauche son blé… qui récolte son blé… qui bat son blé… qui engrange son blé… (La voix a atteint son maximum d’intensité – elle faiblit et retombe, comme brisée, à des registres sourds.) Oui, messieurs, peut-on dire… (Même jeu que précédemment.) que ce paysan… ce cultivateur… cet agriculteur… ce laboureur… (Même jeu encore.) qui a semé ce blé… qui a récolté ce blé… qui a battu ce blé… qui a engrangé ce blé… Oui, je le demande à toutes les consciences honnêtes… peut-on dire que ce cultivateur… que cet agriculteur… que ce laboureur… que ce paysan… ait accaparé ce blé qu’il a semé… qu’il a fauché… qu’il a récolté… qu’il a engrangé ? Ce blé qui est sa sueur, et permettez-moi de le dire ici sans crainte, comme sans faiblesse – son sang ? Non, messieurs… (L’index a rejoint les doigts fermés de la main, et le bras s’abaisse et remonte, remonte et s’abaisse, frappant la barre, par coups réguliers, comme un marteau-pilon.) On ne peut pas le dire… on ne doit pas le dire… on ne le dira pas !… (Nouvelle pause, durant laquelle il s’éponge légèrement le front, puis, il se recule, lève les coudes, étend ses doigts allongés et écartés sur ses pectoraux.) Car, remarquez-le bien, messieurs… juridiquement, civilement, moralement, et j’ajouterai : légalement… oui, monsieur le procureur de