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— Alors, brûlons aussi le Conservatoire, s’écria joyeusement M. Leygues.

— Non, mon cher ministre, je ne demande pas qu’on brûle le Conservatoire. Mais si on pouvait le fermer, par hasard et pour toujours ?… Mais, rien que ce nom du Conservatoire… admirez ce qu’il signifie de vieilles choses posthumes, de vieilles formes délaissées, de vieilles poussières mortes…

M. Leygues réfléchissait. Un violent combat se livrait, en lui, entre les deux personnalités rivales qu’il représente. Il dit :

— Comme homme, je suis avec vous. Je vais même peut-être plus loin que vous… Car j’ai une audace incroyable… des opinions violentes, révolutionnaires, anarchistes … Mais l’homme n’est que la moitié de mon individu ; je suis aussi ministre. Et, ministre, je ne saurais souscrire à ces opinions que je professe, homme… Non seulement je n’y puis souscrire, mais je dois les combattre… Et c’est, croyez-le, une chose bien douloureuse et, en même temps, bien comique, que cette lutte effroyable d’un homme et d’un ministre dans une même et seule personne… N’oubliez pas non plus que je représente l’État… que je suis l’État… et que l’État, sous peine de n’être plus l’État, ne peut autoriser qu’un certain degré d’art, ne peut pas permettre à l’art d’être total, ni au génie d’être contemporain. Pour l’État, le génie n’est officiellement le génie que s’il a été consacré