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nous sommes sous le coup d’un grand malheur personnel, quand, par exemple, nous avons perdu quelqu’un de cher, ou de l’argent, ou une place, nous avons l’habitude de beaucoup penser, de beaucoup nous souvenir, de faire minutieusement notre examen de conscience… de prendre, enfin, des résolutions de vie nouvelle et meilleure…

— « Alors, il revécut sa vie », comme disent les romanciers psychologues…

— Vous y voilà !… Eh bien, est-ce que la Comédie-Française ne pourrait pas, elle aussi, faire cet examen et prendre ces résolutions ? Je sais lui rendre justice… Elle a une vraie noblesse… une grande politesse… et même un ennui infiniment distingué, qui sont fort respectables et que, pour ma part, je ne juge pas indifférents. Mais elle immobilise le mouvement et glace la chaleur des chefs-d’œuvre… Des humanités différentes qu’elle incarne elle fait des mannequins pareils. Oh ! superbes, je vous l’accorde, et qui ont de belles manières… mais des mannequins, tout de même, où la vie est absente… Même dans les moments de passion intense et frénétique, elle garde la raideur harmonieusement gourmée du geste ; elle n’oublie pas, une minute, ce parler oratoire, cette diction traditionnelle, si paradoxale, qui arrête l’élan, tue l’émotion, et, par conséquent, l’art…

— C’est la marque du grand art, interjeta M. Leygues…