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un homme dont la compétence fût aussi universelle. Mais c’est dans les questions d’art qu’il triomphe… Qui ne l’a pas entendu parler du sentiment décoratif de Flameng n’a rien entendu… Et quand il part sur les beautés éducatrices de l’opéra-comique… ah ! quelle merveille !

Un jour que je le félicitais – bas courtisan – de cette évidente supériorité :

— Non, me répondit modestement M. Leygues… je n’ai pas une supériorité.

— Oh ! monsieur le ministre…

— Je les ai toutes.

— À la bonne heure.

— Mais je ne les ai pas en même temps…, je les ai successivement… selon le ministère que je dirige.

— Et comme vous les avez tous dirigés, monsieur le ministre ?… m’inclinai-je très bas.

— Voilà… fit M. Leygues, avec une pirouette délicieuse qui me prouva que son jarret était aussi souple que son esprit.

Il est charmant…

Quand je dîne avec lui, chez des amis, et que je contemple son crâne d’ivoire patiné et sa moustache nationaliste, je me sens fier, vraiment, d’être contribuable. Et je songe :

— Dire que cet homme-là est celui sous qui la Comédie-Française a brûlé, sous qui, certainement, brûlera le Louvre !… Et il n’a pas d’orgueil… et il est comme tout le monde !…