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— Regardez cet appareil reprit le professeur, et dites-moi ce que c’est.

Louis-Pilate haussa ses épaules torses. Rose répondit, en frictionnant son genou malade :

— Mais c’est un bec de gaz, mon ami.

— Un bec de gaz… un bec de gaz ! … Sans doute, que c’est un bec de gaz… Mais ce n’est point un bec de gaz comme les autres… C’est quelque chose de très particulier et, le dirai-je, de très symbolique… Quand vous le regardez… voyons, ma chère Rose, et toi, Louis-Pilate, est-ce que vous n’éprouvez pas une sensation…, une émotion…, un frisson…, quelque chose enfin de fort, de puissant…, de religieux…, tranchons le mot… de patriotique ?… Recueille-toi un instant, Rose… Louis-Pilate, descends dans ton âme… Alors, ça ne vous dit rien ?…

Rose soupira, presque larmoyante :

— Et pourquoi veux-tu, Isidor-Joseph, que j’éprouve, devant ce réverbère, des sensations que je n’éprouve pas devant les autres ?

— Parce que ce réverbère, ma chère femme, contient une idée… une idée sainte… une idée maternelle… un mystère… que ne contient aucun autre réverbère… parce que… écoute-moi bien… parce que ce bec de gaz est le dernier bec de gaz de France, parce que, après lui… c’est la montagne… c’est l’Espagne… l’inconnu… comprends-tu ?… l’étranger, enfin… Parce que c’est la Patrie qui s’illumine tous les soirs pour la joie, pour la reconnaissance