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— Merci ! Et puisque vous êtes assez bon pour vous intéresser à moi, monsieur le préfet, puis-je vous demander un autre service ?… Car enfin, je suis la victime de choses extraordinaires, auxquelles je ne croirais pas moi-même, si elles étaient arrivées à d’autres que moi…

— Parlez, mon ami.

Alors, d’une voix confidentielle :

— J’étais poète, monsieur le préfet, et j’avais un tailleur à qui je devais de l’argent… Il me fallait de beaux habits, fréquentant chez la marquise d’Espard, chez Mme de Beauséant, et devant épouser Mlle Clotilde de Grandlieu … L’histoire est, tout au long, dans Balzac… Vous voyez que je ne mens pas… Ce méchant tailleur venait me relancer très souvent… Il réclamait son argent avec violence… Je n’en avais pas… Un jour qu’il se montrait plus menaçant que jamais, je lui offris, pour se payer, de prendre chez moi ce qu’il voudrait… une pendule – j’avais une très belle pendule –, des souvenirs de famille… enfin, ce qu’il voudrait… Or, savez-vous ce qu’il prit ?… C’est inconcevable… Il prit ma pensée… Oui, monsieur le préfet, ma pensée… comme, plus tard, monsieur devait me prendre mon nom… Vraiment, ai-je de la chance ?… Et que pouvait-il en faire, lui, un tailleur ?

— Mais comment vous êtes-vous aperçu que ce tailleur vous avait pris votre pensée ?… questionné-je.