Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/437

Cette page n’a pas encore été corrigée

homme et qui ne ressemble plus à celui que j’ai connu. Une vie toute nouvelle et que j’ignore est en lui. Je cherche vainement à le déchiffrer.

Autrefois, je l’ai connu enthousiaste, de passions vives et charmant. Il n’était pas d’une gaieté exubérante en paroles et en gestes, et sa mélancolie était celle de tous les jeunes gens qui ont goûté au poison des métaphysiques. Dans notre petit cénacle, à Paris, on n’augurait pas mal de son avenir. Il avait donné à de jeunes revues des études littéraires qui, sans être absolument des chefs-d’œuvre, attestaient de sérieuses qualités, un sens curieux de la vie, un visible effort vers le grand. Par son esprit clair et la forme robuste, carrée de son style, il était de ceux qui ne devaient pas tarder à s’évader des chapelles étroites où se rapetissent les talents, pour conquérir le vrai public. En art, en littérature, en philosophie, en politique, il ne manifestait aucune intransigeance de sectaire, bien qu’il se maintînt ferme dans la révolte et dans la beauté. Rien de morbide en lui, pas de hantises anormales, ni de perversions d’intellect. Son intelligence se tenait sur de solides assises… Et nous apprenions, quelques mois après, qu’il vivait dans la montagne.

Depuis que je suis avec Roger, nous n’avons pas, une seule fois, parlé littérature. À plusieurs reprises, j’ai voulu amener la conversation sur ce sujet qu’il aimait autrefois, mais il l’a, tout de suite,