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bancs, immobiles et têtus. Contre les murs, dans les angles, quelques fous sont prostrés. Il y en a qui gémissent ; il y en a qui sont plus silencieux, plus insensibles, plus morts que des cadavres.

La cour est fermée, quadrangulairement, par de hauts bâtiments noirs, percés de fenêtres qui semblent, elles aussi, vous regarder avec des regards fous. Aucune échappée sur de la liberté et de la joie ; toujours le même carré de ciel vide. Et l’on entend un sourd lamento de cris étouffés, de hurlements bâillonnés venant on ne sait de quelles chambres de torture, on ne sait de quelles invisibles tombes et de quelles limbes lointaines… Un vieillard saute, à cloche-pied, sur ses jambes débiles et tremblantes, le corps ramassé, les coudes plaqués aux hanches. Il y en a qui marchent très vite, emportés vers quels buts ignorés ? D’autres se livrent avec eux-mêmes à des conversations querelleuses.

Dès qu’ils nous aperçoivent, les fous s’agitent, se groupent, chuchotent, délibèrent, discutent, dirigeant obliquement vers nous des regards sournois et méfiants. On voit aussitôt se lever, et remuer dans l’air, des gestes grimaçants, des mains très pâles qui ressemblent à des vols d’oiseaux effrayés. Les surveillants passent parmi les groupes, et, bourrus, les exhortent au calme. Des colloques s’engagent.

— Est-ce le préfet ?