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tous les matins… Il venait passer l’inspection de l’écurie, et se rendre compte par lui-même « où en était l’avoine ». Puis il caressait la croupe de la jument :

— Ho ! ho !… Fidèle… Ho ! ho !…

Et il s’en allait, sans jamais m’adresser la parole… non par mépris, mais par crainte plutôt, et pour ne point rencontrer mes regards qui – je l’avais remarqué – le troublaient d’étrange façon.

La cuisinière et le valet de chambre m’avaient très mal accueilli dès la première fois. C’étaient de vieilles gens, à face humble, à dos courbés, à gestes de dévots. Je sentis, tout de suite, que ce devaient être de profondes canailles, qu’ils s’entendaient merveilleusement pour voler le patron et mettre la maison – éteignoirs à part – en coupe réglée. Les heures des repas étaient pénibles… Nous mangions silencieusement, à la hâte, nous disputant les morceaux et la bouteille de vin avec des expressions et des mouvements de bêtes ennemies. Et, dans leurs faces vermoulues, poussiéreuses, comme les lambris, les solives et les escaliers de cette maison, se levaient, de temps en temps vers moi, des regards de haine, des regards d’une haine si amère et, en même temps, si lourde, que j’avais peine, vraiment, à en supporter le poids…

Mais c’était surtout ma livrée qui m’exaspérait le plus et me rejetait, le plus violemment, à la porte de moi-même. Quand je l’avais sur la peau – et,