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où je me couchai… Les membres brisés, le cerveau vide, je m’endormis profondément comme un homme sans remords… comme un homme délivré.

Le lendemain, je pus regarder Jean, d’un regard tranquille, sans haine… Et depuis cette nuit-là, pas une seule fois il ne m’arriva de me montrer brutal et méchant envers mes chevaux, du moins tant que je restai à la ferme.

Je n’y restai pas longtemps.

J’entrai ensuite chez un notaire de Vannes… puis chez un médecin de Rennes… Rien de particulier à dire, sinon qu’on y fut content de moi. À la vérité, j’étais ponctuel, sobre, soumis, de bonne conduite… et je suppléais à mon ignorance totale du service bourgeois par des trucs d’ingénieuse mnémotechnique. Pas une fois, je ne fus repris de cette crise de haine et de meurtre qui m’avait tant fait souffrir à la ferme de Quimper. C’est à croire que le petit lièvre n’était autre que le diable, et qu’ayant étranglé le diable, j’avais tué, du même coup, les mauvais désirs qu’il me suggérait… Mais je ne gagnais que très peu d’argent et je n’avais qu’une idée, me rapprocher de Paris, où l’on disait que, dans les places, il n’y avait qu’à se baisser pour ramasser de l’or et de l’or, à poignées…

Après le médecin de Rennes, qui, en sa qualité de président de la congrégation de Saint-Yves, ordonnait à ses malades plus de prières que de purgations, ce fut une riche dame veuve, à Laval. Je