le détestais parce qu’il était sympathique à tout le monde, dans la ferme et dans le pays. Doux, complaisant, de gestes moins lourds que les autres, courageux au travail, les hommes et les femmes l’aimaient. Je ne pouvais supporter cette supériorité, moi que, je ne sais pourquoi, tout le monde détestait… Chaque bonne parole, chaque compliment retentissaient en coups sourds, de haine, dans mon cœur… Bien souvent, je lui avais cherché des querelles qu’il évitait avec une ironie charmante. Bien souvent j’avais cherché à l’attendre le dimanche soir, quand il revenait de la ville, à me jeter sur lui, à lui fracasser le visage avec des pierres… Mais je redoutais les suites du meurtre. Je n’osais pas non plus aller trop loin dans l’insulte, sachant que le maître n’hésiterait pas entre Jean et moi.
Ce soir-là, dans l’écurie, sur mon grabat, je m’étendis plus mordu que jamais par la haine. Ma poitrine grondait comme une machine trop chauffée, et je serrais les draps de mon lit, avec des gestes d’étrangleur… Des images de meurtre me poursuivirent toute la nuit, et je ne pus dormir… Oh ! tuer Jean !… Il me semblait que toute douleur eût soudain disparu de mon âme… Tuer Jean !… Oh ! tuer Jean !… Il me semblait que je pourrais, après cela, aimer les autres, que je pourrais peut-être aimer mes chevaux, mes bons chevaux que je bourrais de coups, depuis que Jean m’avait versé dans le cœur le poison de