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que mes neveux… Ils ne vécurent que peu de mois… Mais je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout cela, qui n’a aucun rapport avec la suite de mon histoire… Et qu’est-ce que cela peut bien vous faire ?…

Comme tout le monde, je fis mon service militaire, et j’eus bien de la peine à apprendre quelques mots de français, car je ne parlais que le breton… de quoi je tirai beaucoup d’avanies et beaucoup de horions. Quant à lire et à écrire, ça, par exemple, en dépit de mes efforts et de mon application, il me fallut y renoncer… Pour m’être obstiné à ce travail, tout ce que je gagnai, en fin de compte, ce fut une espèce de fièvre cérébrale dont je faillis mourir et dont je sens bien, parfois, qu’il m’est resté dans le crâne quelque chose de pas naturel. Mais je garde de ma convalescence, à l’hôpital de Brest, et d’une certaine sœur Marie-Angèle, dont les mains blanches retinrent mon âme qui voulait s’envoler hors de moi, un souvenir charmant et très doux. J’y pense souvent, comme à ce grand cygne que je vis, un soir d’hiver, passer au-dessus de la lande… une fée peut-être… et peut-être l’âme d’une sainte, comme l’était cette si jolie sœur Marie-Angèle qui me sauva de la mort…

Il n’y a pas d’exemple qu’au sortir de l’armée, un Breton se trouvant dans les conditions où j’étais, ne se fasse domestique. La Bretagne est la terre classique du servage. Elle sert Dieu, la patrie