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— C’est les fous… Nous sommes arrivés… dit le cocher.

J’hésitai, durant quelques secondes, à franchir le seuil redoutable. D’abord, je ne doutai point que j’allais être, par mon ami, accablé de demandes indiscrètes et de sollicitations de tout genre, ensuite, je me rappelai que je ne peux plus supporter le regard d’un fou. Le regard des fous m’effraie par la possibilité d’une contagion, et la vue de leurs longs doigts crispés, de leurs grimaçantes bouches me rend malade. Mon cerveau devient aussitôt la proie de leur propre délire ; leur démence se communique instantanément à tout mon être ; et j’éprouve à la plante des pieds comme un chatouillement douloureux et persécuteur qui me fait sautiller, dans les cours d’asile, ainsi qu’un dindon que de cruels gamins forcent à marcher sur une plaque de tôle rougie.

J’entrai pourtant. Le portier me remit aux mains d’un gardien, qui me fit traverser des cours, des cours, et encore des cours, par bonheur désertes, à cette heure ; qui me fit suivre des couloirs et monter des escaliers, des escaliers, des escaliers. De temps en temps, sur les paliers, des portes vitrées laissaient entrevoir de grandes salles, des voûtes blanchâtres, et j’apercevais des bonnets de coton s’agiter étrangement sur des fronts pâles et plissés. Mais je m’efforçai de ne regarder que les murs et le plancher, sur lesquels, dans des carrés de lumière, il me semblait que