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dinaire ? Quel événement merveilleux ? Quel miracle ?

La face tout heureuse, les bras mollement balancés en dehors des accoudoirs du fauteuil, s’étirant comme un chat dans une détente délicieuse de tous ses organes, M. Tarte répondit :

— Cher monsieur Georges… ah ! cher monsieur Georges… j’ai tué un homme !

Et, sur son visage et dans sa voix, il y avait une expression de soulagement, de délivrance, une ivresse d’âme exorcisée.

— J’ai tué un homme… j’ai tué un homme !…

Sur un mouvement de surprise que je ne pus réprimer, M. Tarte m’imposa silence d’un geste de la main :

— Ne vous récriez pas… fit-il, ne m’interrompez pas… et laissez-moi vous raconter cette joie libératrice qui m’échut aujourd’hui, d’avoir tué – ah ! comprenez la douceur fondante de ce mot – d’avoir tué… un homme !…

Et, en petites phrases courtes, heurtés, saccadées, il parla ainsi :

— Mon cher monsieur Georges, je souffre d’une pharyngite chronique… Elle a, jusqu’ici, résisté à tous les traitements… Cette année, mon médecin m’ordonna les humages de X… Vous savez ce que c’est ?… Il paraît que c’est miraculeux… Bref, je vins humer ici… La première fois que j’entrai dans la salle de humage, l’appareil qui m’était prescrit était déjà occupé… Il y avait un