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de banderoles fleuries… ou qui volait, dans des fonds d’ocre, avec des ailes bleues !… Mon Dieu !… mon Dieu !…

Dans la nuit, succombant à la fatigue, aux brisements de l’émotion, il s’endormit… Quand il se réveilla, le soleil inondait la chambre mortuaire de clartés joyeuses… vibrantes. Barnez se repentit de s’être laissé engourdir par le sommeil. Il s’accusa même :

— Et j’ai dormi !… Pendant qu’elle… Ah ! ma bien-aimée, pardon ! C’est vrai pourtant qu’elle est morte… Que vais-je devenir ? Je n’ai plus rien, rien… La peinture ?…

Il fit un geste de colère, de menace.

— La peinture… Ah ! oui, la peinture !… Je lui ai sacrifié l’amour de ma femme, de mon fils… Si, au lieu d’être peintre, j’avais été avocat, comptable, tailleur, n’importe quoi… ces deux êtres chéris que j’ai perdus, que j’ai tués – car je les ai tués – vivraient encore… Non, non, plus de peinture, jamais… Je brise ma palette…

Très pâle, les paupières gonflées, Barnez regarda sa femme, longuement, douloureusement.

— Misérable !… je suis un misérable !… Je n’ai pas su, je n’ai pas su… les aimer, sanglotait-il.

Mais, peu à peu, ses yeux perdirent leur expression de douleur, et, peu à peu, le regard, tout à l’heure angoissé et humide, eut cette concentration, cette tension de toutes les forces visuelles qui