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sur le lit les fleurs, les grappes odorantes de lilas blancs, les roses blanches, les grands lis blancs, les boules de neige. Parée d’une robe blanche et sur la blanche jonchée couchée, Mathilde semblait dormir.

L’année précédente, Barnez avait perdu un enfant, son fils unique, un enfant joufflu, rose, potelé, délicieux, qui déjà posait comme un petit homme, pour les Amours et pour les Anges. Et voilà qu’on lui arrachait sa femme, maintenant !… Désormais, il ne lui restait plus personne à aimer et il était seul, si seul, que la pensée de la mort lui fut, un instant, consolante… À quoi bon vivre ? Et pour qui, mon Dieu ? Et pourquoi ?… Tout s’écroulait… tout… jusqu’aux égoïstes jouissances de l’art, jusqu’à ce délicieux martyre de créer ; jusqu’à ces enthousiasmes divins, ces sublimes folies qui, d’un ton de chair, d’un reflet d’étoffe, d’un coup de soleil sur la mer, d’un lointain perdu dans les brumes, font surgir, surgir et palpiter, les poèmes du rêve éternel… les médailles, les commandes de l’État, les décorations, les prix forts… Pendant quelques minutes, il eut l’idée de faire un double cercueil au fond duquel il pourrait, lui aussi, s’allonger à côté de sa chère femme… Sa chère femme… sa Cléopâtre… son Agrippine… sa Niobé, sa Reine de Saba !… Mon Dieu !… mon Dieu !… Et lui, son petit Georges, qui, tout nu, tout bouclé de blond, une rose au bec, un carquois en sautoir, sortait si délicieusement des enroulements