Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/379

Cette page n’a pas encore été corrigée

seule pouvait, si elle voulait, avoir raison de ce mal obstiné. La malade s’embarqua, un matin, sur le petit cotre, dans un tel état d’anxiété de ce qu’elle allait voir, qu’elle en oublia, durant la route, les horribles douleurs qui tenaillaient sa chair empoisonnée. Mais, à peine sur le quai d’Audierne, tout à coup, elle poussa des cris d’épouvante et se jeta la face contre terre, criant :

— Nostre Jésus !… Que de diables… que de diables !… Ils ont des cornes… Sainte Vierge, ayez pitié de moi !…

Elle avait vu qu’on embarquait des bœufs dans une goélette. En troupeau, le museau baveux, ils meuglaient, en fouettant l’air de leur queue… Et la malheureuse répétait :

— Nostre Jésus ! Ils ont des cornes, comme des diables… ils ont des cornes !…

On eut beaucoup de peine à lui faire comprendre que ce n’étaient point là des diables, mais bien d’inoffensives bêtes comme il y en a, partout, sur le continent, et dont le père Milliner disait que, loin de manger les hommes, c’étaient, au contraire, les hommes qui les mangeaient, avec des choux et des pommes de terre… Elle se releva, non encore rassurée, et fit quelques pas avec prudence, étonnée de la nouveauté du spectacle qu’elle avait sous les yeux.

Et voilà que de l’autre côté du port, sur les hauteurs de Poulgouazec, elle aperçut un moulin à vent dont les grandes ailes, actionnées par une forte