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à les rendre sensibles. L’un d’eux racontait : — Figurez-vous une bête… une bête grosse comme mille rats… Eh bien, là-bas, c’est un cheval… un cheval, rappelez-vous bien… On monte dessus… ou bien on y attache une espèce de maison qui a des roues et qu’on appelle une diligence… Et ça vous mène loin, loin… en un rien de temps…

— Nostre Jésus ! faisaient les femmes, en se signant, comme pour écarter d’elles la peur d’images diaboliques.

Mais ces formes aiguës ne prenaient aucun caractère précis dans leur esprit incapable d’imaginer au-delà de certaines lignes, de certaines mouvements, lesquels se ramènent toujours, à peine grossis, à peine déformés, aux lignes des choses, aux mouvements des êtres qu’elles ont vus, parmi lesquels elles vivent.

Un jour, une de ces femmes, dont la poitrine était rongée par un cancer, se décida, sur le conseil du recteur, à partir en pèlerinage pour Sainte-Anne d’Auray. Bien que l’administration maritime entretienne dans l’île un chirurgien pour qui un séjour de trois ans tient lieu de deux campagnes lointaines et de je sais combien de blessures, c’est le recteur qui est le vrai médecin. Or, le recteur avait épuisé sur la pauvre femme toute la série de ses emplâtres, de ses adjurations et de ses herbes caustiques, et il avait jugé que sainte Anne