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satisfaite. Lorsque, il y a une trentaine d’années, un homme qui était parti seul depuis longtemps revint au pays avec un chien, ce fut une épouvante parmi les femmes. Elles crurent que c’était le diable, et se réfugièrent dans l’église en poussant des cris de détresse. Il fallut que le recteur pratiquât des exorcismes bizarres et trempât le chien dans l’eau bénite pour qu’elles voulussent bien sortir de l’église, où elles s’étaient barricadées. Mais de tels accidents sont rares dans l’existence toujours pareille de l’île, où la hardiesse des colonisateurs n’est point allée jusqu’à l’introduction d’une vache ou d’un cheval, ou d’une bicyclette. Aussi, ce n’est pas sans terreur que la pensée des femmes traverse la bande d’eau qui les sépare de la Vie, et que, par les ciels clairs, elle suit la tache bleue, déchiquetée, de cette terre inconnue et mystérieuse où sont les villes, les forêts, les prairies, les fleurs et les oiseaux autres que les mouettes coutumières et les pétrels migrateurs.

Les vieux, qui sont trop vieux pour pêcher encore, et qui, chaque jour, restent assis au seuil des maisons, devant la mer, parlent quelquefois. Ils ont vu, pendant qu’ils étaient au service de l’État, des choses extraordinaires et qui peuvent à peine se concevoir : ils ont vu des chevaux, des ânes, des vaches, des éléphants, des perroquets et des lions. Par des mimiques désordonnées et des cris imitateurs, ils s’efforcent à les décrire,