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auberge, où je mangeai des huîtres fraîchement pêchées, et bus un pot de cidre. Des femmes me servaient, comme on en voit dans les tableaux de Van Eyck. C’était la même gravité douce, la même noblesse d’attitude, la même beauté ample du geste… Et un silence !

La maison était propre, les murs blanchis à la chaux. Au-dessus de la cheminée, il y avait un panneau de boiserie ancienne, et sur la table de la cheminée, deux grosses coques d’oursins qui ressemblaient à l’Alhambra. J’oubliai le siècle, j’oubliai la vie, la douleur humaine, j’oubliai tout, et je passai là une heure délicieuses et sans remords.


C’est cette même année-là, que j’allai passer trois jours à l’île de Sein.

L’île de Sein n’est séparée du continent que par quelques milles. De la pointe du Raz et de la côte de Beuzec, on aperçoit, par les temps clairs, ses dunes plates, mince trait jaune sur la mer, et la colonne grise de son phare. En cet espace marin, un peu sinistre, l’Océan est semé de récifs hargneux, dont les pointes apparaissent, même par le calme, presque toujours frangées d’écume, et les nombreux courants qui, sur le vert des eaux, tracent des courbes laiteuses, font de ces parages une route dangereuse aux navires. À marée basse, les récifs, plus découverts, relient, en quelque sorte, d’un noir chapelet de roches, les