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— Eh bien, mon enfant, dit-il doucement… au moins, mets ce foulard autour de ton cou… L’air est vif, aujourd’hui… Je t’en prie, mets ce foulard…

L’enfant haussa les épaules.

— Tiens… des poules… fit-il en suivant dans le ciel gris un vol de corbeaux.

— Ça n’est pas des poules, mon enfant, expliqua le petit monsieur. C’est des corbeaux.

L’enfant répondit durement :

— Et si je veux que ça soit des poules, moi, na !… Laisse-moi tranquille…

Et il se mit à tousser.

Effaré, le petit monsieur fouilla dans le nécessaire.

— Albert !… ton sirop, mon enfant… ton sirop… bois ton sirop… Tu me fais trembler…

L’enfant prit la bouteille, la lança par la portière, et avec un mauvais rire :

— Tiens, le voilà ton sirop !… Va le chercher si tu veux…

Alors, le père se tourna vers moi, les yeux implorants. Ah ! quelle figure de martyr ! Des joues creusées, des rides profondes, et deux grandes prunelles rondes, humides, cerclées de rouge, et une barbe courte, sale, grise, comme il en pousse sur la peau rigide des morts. Je me levai à mon tour et refermai la portière d’un geste impérieux. L’enfant se rencogna, en maugréant, dans l’angle du wagon. Le père me remercia d’un regard douloureux et bon. Comme je