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ce qu’il faisait, s’il pleurait tout seul, dans une chambre d’hôtel ou dans un coin de wagon. Et je m’endormis, bercé délicieusement par le remous de la mer, sur laquelle on eût dit que la lune avait jeté un immense filet de lumière, aux mailles étincelantes et serrées.

Trois mois après, je les revis. C’était dans un wagon. J’allais à Carnac. Et eux, où allaient-ils ? Le petit monsieur occupait un coin du wagon, à ma droite, et son fils, un autre coin, en face de lui. Il me sembla que le premier était plus voûté, plus cassé, plus maigre, plus gauche, et je crus remarquer que le second avait embelli, et que ses yeux étaient devenus plus méchants encore. Je voulus examiner, plus attentivement que l’autre fois, le visage du père ; mais il se déroba à mes regards, et il feignit de s’intéresser au paysage : des pins, encore des pins, et d’étroits, de désolés, de mortuaires horizons de landes. L’enfant s’agitait nerveusement et me regardait d’un œil oblique. Tout à coup, il monta sur les coussins, ouvrit la portière, se pencha hors du wagon. Le père effrayé, poussa un cri :

— Albert !… Albert !… ne fais pas cela, mon enfant… tu pourrais tomber.

L’enfant répondit, d’un ton sec, avec une grimace méchante des lèvres :

— Je ferai cela… je ferai cela… Tu m’ennuies.

Le père s’était levé, avait tiré un foulard de soie noire d’un petit nécessaire de voyage.