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pendaient à sa mâchoire, et son groin se barbouillait de sauce. En quelques secondes, la viande fut engloutie. Une pomme de terre eut le même sort ; une grappe de raisins disparut aussitôt qu’offerte. Il avala une tasse de café, à grandes gorgées retentissantes… Après quoi, repu, il se laissa tomber dans son assiette, et s’endormit.

Le lendemain, le hérisson était apprivoisé comme un chien. Dès que j’entrais dans la pièce où je lui avais fait une litière bien chaude, il marquait une joie excessive, venait à moi, et n’était heureux que lorsque je l’avais pris. Alors, caressant, ses piquants si bien couchés sur son dos qu’ils étaient doux ainsi qu’un pelage de chat, il poussait de petits cris sourds qui devinrent, en peu de temps, continus, monotones et endormeurs comme un ronronnement.

Oui, il faut que les naturalistes le sachent, ce hérisson ronronnait. Comme il m’amusait beaucoup et que je commençais à l’aimer, je l’avais admis à l’honneur de ma table. On lui mettait une assiette à côté de la mienne, et il mangeait de tout, exprimant par de comiques colères son mécontentement, quand il voyait emporter un plat dont il n’avait rien goûté. Jamais je n’ai connu une personne aussi facile à nourrir. Viande, légumes, conserves, entremets, fruits, il n’était pas un mets qu’il refusât de manger. Mais il avait une préférence pour le lapin. Il le humait de loin. Ces