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Travailler les bigorneaux était une idée qui, depuis longtemps, obsédait le brave capitaine Kerkonaïc ; au dire de ceux qui le connaissent, c’était même la seule idée qui jamais eût hanté sa cervelle, car c’était un excellent homme selon les Évangiles.

Il avait toujours été frappé, disait-il, de l’excellence comestible de ce mollusque, mais aussi de son exiguïté, qui en rend l’emploi, dans l’alimentation, difficile et fatigant. Or, le capitaine ambitionnait que le bigorneau ne restât pas une fantaisie locale de table d’hôte, qu’il devînt un objet de consommation générale, comme, par exemple l’huître, qui ne le valait pas, non, qui-ne-le-valait-pas. Ah ! si le bigorneau pouvait atteindre seulement le volume, non exagéré, pensait-il, de l’escargot terrien et mangeur de salades ! Quelle révolution ! C’est la gloire, tout simplement, et qui sait ?… la fortune. Oui, mais comment faire ?

Et il se disait, l’excellent douanier, en se promenant à marée basse sur les grèves, en barbotant sur les flaques rocheuses où s’agrippe le bigorneau, dont il ne se lassait pas d’étudier les mœurs à la fois vagabondes et sédentaires, et qu’il examinait au double point de vue physiologique de l’élasticité cellulaire de la coquille et de ses facultés possibles à l’engraissement, il se disait :

— Enfin, on engraisse les bœufs, les porcs, les volailles,