Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se passent et se repassent littérateurs, poètes, philosophes… Comment, dans un temps de production et de surproduction tel que le nôtre, peut-il arriver qu’il y ait encore des pauvres ?… Est-il concevable, est-il admissible, qu’à une époque où l’on fabrique trop de drap, trop de velours, trop de soie et de cotonnade, l’on rencontre des gens misérablement vêtus ?… Que des êtres humains crèvent de faim et de misère, alors que les produits alimentaires, les denrées de toute sorte, encombrent tous les marchés de l’univers ?… Par quelle anomalie — inexplicable au premier abord, semble-t-il — voyons-nous, parmi tant de richesses gaspillées, parmi tant d’abondance inutilisée, des hommes qui s’obstinent, qui s’acharnent à rester pauvres ? »… La réponse était facile : « Des criminels ?… Non… Des maniaques, des dégénérés, des aberrants, des fous ?… Oui… Des malades, enfin… Et je dois les guérir !… »

— Bravo !… bravo !… applaudit quelqu’un.

Un autre cria :

— Ah ah !… À la bonne heure !

Triceps, encouragé, reprit :

— Les guérir ?… Sans doute ?… Mais il fallait faire passer ce raisonnement du domaine de l’hypothèse dans celui de l’expérimentation rigoureuse… des marécages de l’économie politique, des tourbières de la philosophie, dans la terre végétale de la science… Un jeu, pour moi, vous allez voir… Je me procurai une dizaine de pauvres offrant