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mais le fond est le même… Je vous ai dit, tout à l’heure, que j’ai eu trois enfants… Tous les trois, ils étaient sains, forts, bien constitués, aptes à vivre une bonne vie, je vous assure… Les deux premiers, nés à treize mois de distance l’un de l’autre, sont partis de la même façon… Chez nous, il est rare que la mère puisse nourrir de son lait sa progéniture… Alimentation mauvaise ou insuffisante… tracas de ménage… travail, surmenage… enfin, vous savez ce que c’est… Les enfants furent mis au biberon… Ils ne tardèrent pas à dépérir… Au bout de quatre mois, ils étaient devenus assez chétifs et malades pour nous inquiéter… Le médecin me dit : « Parbleu ! c’est toujours la même chose… le lait ne vaut rien… le lait empoisonne vos enfants ». Alors je dis au médecin : « Indiquez-moi où il y a de bon lait, et j’irai en acheter ». Mais le médecin secoua la tête, et il répondit : « Il n’y a pas de bon lait à Paris… Envoyez votre enfant à la campagne ». Je confiai le gosse à l’Assistance publique, laquelle le confia à une nourrice percheronne… Huit jours après, il mourait… Il mourait, comme ils meurent tous, là-bas, du manque de soins, de la férocité paysanne… de l’ordure… Mon troisième, je le gardai à la maison… Il vint très bien… C’est vrai qu’à ce moment ma femme et moi nous gagnions de bonnes journées, et que l’argent ne manquait pas… Il était gras, rose, ne criait jamais… Impossible de voir un enfant plus fort et plus beau… Je ne sais