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qui était venu réparer ma bibliothèque. C’est un homme très intelligent et qui aime à causer. Pendant qu’il travaillait :

» – Est-ce que vous avez des enfants ? lui demandai-je.

» – Non… me répondit-il durement…

« Et après une pause, d’une voix plus douce :

» – Je n’en ai plus… J’en ai eu trois… Ils sont tous morts…

« Il ajouta, en hochant la tête :

» – Ah ! ma foi ! quand on voit ce qui se passe… et la peine qu’on a dans la vie… ça vaut peut-être mieux pour eux, qu’ils soient morts… les pauvres petits bougres… Au moins, ils ne souffrent pas.

« J’insistai un peu cruellement :

» – Est-ce qu’il y a longtemps que le dernier est mort ?

» – Dix ans, fit-il.

» – Et depuis ?…

» – Depuis, vous comprenez que ni moi, ni ma femme, nous n’en avons pas voulu d’autres… Ah ! non, par exemple…

« Je lui expliquai l’admirable mécanisme de la loi Piot, et comme quoi, étant assez mauvais patriote pour n’avoir pas, ou pour n’avoir plus d’enfants vivants… il serait passible d’un impôt, s’il arrivait que cette loi fût votée…

« Il ne parut pas très étonné, ayant pris l’habitude de considérer la vie en philosophe :

» – Je m’attends à tout des lois, me dit-il, sans aigreur…