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et glissante. L’avenue est presque déserte. De rares passants passent, la figure enfouie dans les collets relevés des paletots ; de rares fiacres roulent à vide, ou bien emportent on ne sait quoi vers on ne se sait où ; de rares femmes arpentent les trottoirs qui luisent comme de pâles lumières, sous la lune.

» – Monsieur… monsieur… venez chez moi…

« Appels mêlés de jurons obscènes et de menaces. Puis des silences… et des fuites… et des retours. Cela vient, tourne, s’efface, disparaît, revient et s’abat, ainsi que des corbeaux sur un champ où il y a une charogne.

« De place en place, il ne reste d’ouvert que des boutiques de marchands de vins, dont les devantures allumées trouent de clartés jaunes la masse d’ombre des maisons endormies. Et des odeurs d’alcool et de musc – crime et prostitution – circulent dans l’air par bouffées fraternelles.

» – Monsieur… monsieur… venez chez moi…

« Depuis cinq minutes, une femme me suit, que je ne vois pas, et dont j’entends seulement, derrière moi, le piétinement obstiné et la voix qui chuchote ce monotone et suppliant refrain :

» – Monsieur… monsieur… venez chez moi…

« Je m’arrête sous un réverbère. La femme aussi s’arrête, mais en dehors du rayonnement lumineux. Je puis, néanmoins, l’examiner. Elle n’est point belle, ah ! non, ni tentante, et elle repousse, de toute la distance de son navrement, l’idée du péché.