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XIX


Nous avons dîné, hier, chez Triceps : dîner offert en l’honneur de son ami et protecteur, le docteur Trépan. Il y avait dix convives, tous riches, tous heureux. Durant le repas, et après le repas, nous n’avons naturellement parlé que de la misère humaine. C’est une sorte de joie sadique qu’ont les riches de pleurer, après boire et quand ils sont bien gorgés de sauces, sur les pauvres… Il n’y a rien comme les mets abondants et épicés, les vins rares, les fruits merveilleux, les fleurs et les argenteries, pour nous inspirer des émotions socialistes. La discussion, commencée dans la philosophie, a peu à peu dégénéré en anecdotes… Et chacun a raconté son histoire…

L’un, un écrivain connu, gros homme, rouge et lippu, à oreilles cornues de faune, dit :


« L’avenue de Clichy, à une heure de la nuit. Il pleut. La boue grasse du pavé rend la marche difficile