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nous payons pas de mots, monsieur, et envisageons la vie telle qu’elle est. Le vol est l’unique préoccupation de l’homme. On ne choisit une profession – quelle qu’elle soit, remarquez bien – que parce qu’elle nous permet de voler – plus ou moins – mais enfin de voler quelque chose à quelqu’un. Vous avez l’esprit trop avisé, vous savez trop bien ce que cache le fallacieux décor de nos vertus et de notre honneur, pour que je sois forcé d’appuyer mon dire d’exemples probatoires et de concluantes énumérations…

Ces paroles me flattaient trop dans mes prétentions – d’ailleurs, justifiées – à la psychologie, et à la connaissance des sciences sociales, pour que je ne les accueillisse point par un « Évidemment ! » péremptoire et supérieur. L’élégant cambrioleur, encouragé, poursuivit avec des gestes plus intimes et confidentiels :

— Je ne veux vous parler que de ce qui me concerne… Mais les sales besognes que, nécessairement, je dus accomplir, les ruses maléficieuses, les ignobles tromperies, les faux poids, les coups de Bourse… les accaparements… répugnèrent vite à mon instinctive délicatesse, à ma nature franche, empreinte de tant de cordialités et de tant de scrupules… Je quittai le commerce pour la finance. La finance me dégoûta… Hélas ! je ne pus me plier à lancer des affaires inexistantes, à émettre de faux papiers et de