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À force de brossages et de frottages demi-séculaires, les passementeries avaient, pour ainsi dire, disparu. Les tresses de soie montraient l’armature de corde ; les boutons, au creux des capitons, n’étaient plus que de petites mèches ternes… Le pire rôdeur de voitures n’eût pas voulu de celles-là pour les fiacres de nuit qui stationnent aux abords des gares, ou roulent, étranges fantômes véhiculaires, dans les bas quartiers de la ville.

En vain, le marquis les avait offertes, pour des prix dérisoires, à tout le monde. Durant plusieurs années, elles avaient figuré, comme occasions exceptionnelles, aux annonces des journaux spéciaux qui, sous prétexte d’élevage, d’acclimatation et de vie élégante, poussent leurs abonnés aux combinaisons industrieuses, aux échanges les plus imprévus… où l’on voit des gens très riches, et de la plus grande noblesse, essayant de se « carotter » l’un l’autre, demandant à troquer une paire de cochinchinois fauves contre un piano d’Érard, des dictionnaires Larousse contre des oignons de tulipes, de vieux scapulaires graisseux contre des mandolines, des chapelets bénits par le pape contre des poneys d’Irlande, sans défauts et bien mis… etc. Dès qu’un acheteur ou un échangeur alléché par les descriptions enthousiastes et fallacieuses de l’annonce, ou par de peu véridiques photographies, se présentait au château pour examiner les voitures, il s’enfuyait à la première inspection, quelquefois, en protestant vivement.