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Alors, il aperçut, à demi caché dans l’herbe, et appuyé contre le saule, un sac de toile bise que nouait, dans le haut, un lien de roseau… Le père Franchart atteignit le sac, rompit le lien, l’ouvrit tout grand… Et des écrevisses, d’un bronze luisant, remuèrent, grouillèrent parmi des feuilles d’orties, fraîchement coupées… Le marquis s’écria :

— Sacré père Franchart !… Est-il adroit ce vieux bougre-là !… C’est vrai qu’elles sont belles. Eh bien… entendu… je les prends…

Il se saisit du sac, prestement le renversa au-dessus de l’eau, en lui imprimant de petites secousses, et les écrevisses, une à une, deux à deux, vingt à vingt tombèrent… tombèrent toutes dans la rivière avec un claquement mouillé… Durant quelques secondes, elles flottèrent à la surface, et disparurent au fond de l’eau… Bientôt il ne resta plus que les feuilles d’orties que le courant vite emporta.

— Sacré père Franchart !… répéta le marquis, en rejetant contre le saule, dans l’herbe, le sac vide…

Le père Franchart était muet de stupéfaction… Sans une parole, sans un cri, sans un geste, il regardait le marquis… Il le regardait, de ses yeux ronds… où deux larmes… deux pauvres larmes montèrent tout à coup, et se perdirent dans les rigoles de son vieux visage parcheminé… Le marquis les vit-il couler ?… Peut-être. Et voici ce qu’il dit en partant, d’un ton moitié menaçant, moitié jovial :