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nuque… Et le vent ballonnait sa blouse qui, par une échancrure, sur le haut de la poitrine, laissait voir les pointes d’un foulard rouge. Il continua :

— Et ça vient faire le monsieur ici… le gommeux … étaler son luxe… insulter le peuple avec des habits de prince !… Regardez-moi ça !… Ah ! nom de Dieu !… C’est honteux…

Deux cents regards enveloppèrent le pauvre candidat d’une haine méprisante et ricanante… Le marquis, encouragé, d’une voix plus forte cria :

— Et où a-t-il volé cette redingote ?… Et ce chapeau, qui l’a payé ?… L’Allemagne en sait quelque chose… Les fripouilles…, les sales fripouilles !…

Les murmures grandirent, s’enflèrent… Un charron, les bras nus jusqu’au coude, énorme sous le tablier de cuir qui lui cachait les jambes, clama :

— Bien sûr… c’est un traître…

Et quelques voix hurlèrent :

— À bas le traître !…

Le marquis poursuivit, en prenant à témoin sa blouse bleue, sa casquette en peau de lapin, ses souliers ferrés, son bâton noueux :

— Est-ce que les vrais amis du peuple s’habillent en redingote… comme les étrangers… les rastaquouères, les juifs ? Est-ce que j’ai une redingote, moi… et un tube à huit reflets ?… Voyons, vous autres ?…