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Portpierre, gros propriétaire terrien, célèbre dans toute la Normandie, pour son existence fastueuse, et, à Paris, pour la parfaite correction de sa livrée et de ses attelages. Membre du Jockey-club, homme de cheval, de chiens et de filles, tireur aux pigeons coté, antisémite notoire et royaliste militant, il appartenait à ce qu’au dire des gazetiers il y a de mieux dans la société française…

Ma surprise fut grande de le voir vêtu d’une longue blouse bleue et coiffé d’une casquette en peau de lapin. On m’expliqua que c’était son uniforme électoral et que cela le dispensait de toute autre profession de foi… Il ressemblait, d’ailleurs, à un vrai maquignon. Rien, dans son allure, n’indiquait que ce fût là un costume accidentel ; rien, non plus, dans sa physionomie, rougeaude et vulgaire, mais narquoise et rusée, ne le distinguait des autres croquants et ne révélait en lui ce que les anthropologues de journaux appellent « la race ».

Je l’examinai passionnément.

Personne ne devait être plus dur et plus malin en affaires, savoir mieux maquiller un cheval ou une vache, entonner plus de litres de vin, durant les débats d’un marché, être plus expert en toutes les roueries des champs de foire… Comme je passais près de lui, je l’entendis qui criait, au milieu des rires :

— Mais oui… mais oui… le gouvernement est une