Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/228

Cette page n’a pas encore été corrigée

quelles admirables larmes de pitié ! – il demanda que se refermât, désormais, sur ma folie dangereuse, la porte de torture, l’oubli du cabanon !

« Je fus condamné à mort, aux applaudissements de tout le monde… Mais il arriva que M. le Président de la République voulut bien changer l’échafaud en bagne perpétuel… Et j’y serais encore à ce bagne, si, l’année dernière, le véritable assassin, poussé par le remords, n’avait publiquement confessé son crime et mon innocence… »

S’étant tu, M. Rouffat se regarda, avec complaisance, dans la glace… « Oui, en vérité, semblait-il se dire, je suis une bien noble victime… Et voilà des aventures qui n’arrivent pas à tout le monde… » Puis il nous raconta, en termes prolixes et châtiés, ses sept années de tortures. Je le plaignis beaucoup. Et voulant le réconforter, en associant à ses propres malheurs les malheurs de toutes les pauvres victimes de la justice humaine, je lui dis tendrement :

— Hélas ! monsieur… Vous n’êtes pas le seul sur qui se soit acharnée une société qui ne vit que d’erreurs, quand ce n’est pas de crimes volontaires… L’infortuné Dreyfus en a fait, lui aussi, l’épouvantable expérience…

À ce nom de Dreyfus, les yeux de M. Rouffat s’allumèrent d’une lueur de haine farouche… — Oh ! Dreyfus… dit-il aigrement… Ça n’est pas la même chose…