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un assassin vulgaire et pas du tout sympathique. On réclama ma tête tous les jours.

À l’audience, le village des Trois-Fétus, tout entier, déposa contre moi. Chacun parla de mes louches allures, de mon insociabilité, de mes promenades matinales furtives, évidemment combinées en vue du crime que je devais commettre avec un tel raffinement de férocité. Le facteur prétendit que je recevais beaucoup de correspondances mystérieuse, des livres à couverture bizarre, d’insolites paquets. Il y eut une sensation d’horreur au banc des jurés et parmi la foule, lorsque le président me reprocha qu’on eût saisi chez moi des livres tels que : Crime et Châtiment, Le Crime et la Folie, les œuvres de Goncourt, de Flaubert, de Zola, de Tolstoï. Mais tout ceci n’était rien, en réalité, rien que des circonstances adventices, de menues accusations qui venaient s’ajouter à ce grand cri d’aveu qu’était ma pâleur.

Et ma pâleur confessait tellement le crime, elle le clamait si haut, que mon avocat lui-même ne voulut pas plaider mon innocence – si formellement démentie par ma pâleur. Il plaida l’irresponsabilité, la manie furieuse, le meurtre involontaire ; il déclara que j’étais atteint de toutes les démences, que j’étais un mystique, un érotomane, un dilettante de la littérature. Dans une péroraison sublime, il adjura les jurés de ne pas prononcer contre moi le verdict de mort, et il demanda, avec des larmes admirables – avec