Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/213

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

va dormir comme on est resté éveillé, pesamment. En ces endroits-là, le sommeil a la pesanteur étouffante et noire des montagnes. Car la montagne est partout. Elle est dans votre chambre fermée, aux rideaux tirés ; elle est en vous, elle emplit vos rêves de sa masse ténébreuse… Et quels pauvres êtres vont naître, cette nuit, des étreintes flasques de cette humanité vagabonde qui promène son ennui de néant en chaos ?

Dans les couloirs circulent encore d’étranges odeurs qui font qu’on reconnaît, mieux peut-être que par la langue qu’elles parlent, la nationalité des femmes qui ont passé par là. Et les ascenseurs montent et descendent, les portes claquent et se verrouillent, les parquets craquent, les sonneries électriques font rage. Enfin, tout s’apaise. Et du haut en bas de l’immense caserne, les murs commencent de chuchoter.

Mes voisins de droite ne sont arrivés que de la veille, et je ne les ai pas encore vus. À leur accent précieux et chantant on sent tout de suite qu’ils sont de Genève. Être de Genève et venir ici se retremper des Alpes, dans des Pyrénées !… C’est à n’en pas douter, tant on les perçoit laids et hostiles l’un à l’autre, le mari et la femme. Les voix ne sont plus jeunes ; elles ne sont pas très vieilles non plus. Des voix de quarante-cinq ans, à peu près, dont l’habitude de se parler toujours a rendu le timbre sonore et agressif. Elles sont antipathiques comme les voix réelles, comme les voix