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profond d’un cerveau ami… d’être malade – ah ! vous ne sentez pas votre bonheur – dans un pays méprisé des Bædecker, inconnu des touristes, des alpinistes, des stratégistes… dans un pays où il n’y a pas – ô joie merveilleuse ! – de points de vue !…

Les points de vue, connaissez-vous quelque chose qui soit plus horripilant, plus agressivement insupportable ?… Les points de vue, où l’on voit, agglutinée en cristallisations lentes, en stalactites prodigieuses, la sottise énorme et pareille et toujours suintante de tous ceux-là qui les visitèrent. Tenez, jadis, il y avait à Douarnenez un vieux chêne, et, près du vieux chêne, un vieux puits en ruine et tari… Il y avait aussi à Douarnenez une mer émouvante et de la lumière infinie, à travers les brumes délicieusement roses, ou dorées, ou grises sur la mer… Mais personne n’allait jamais voir la mer, car la mer n’était pas le point de vue classique et recommandé de Douarnenez… Tout le monde se dirigeait en processions admiratives vers le vieux chêne et vers le vieux puits… On se disait entre soi : « Avez-vous vu le superbe point de vue de Douarnenez ?… » Et les peintres l’illustrèrent. Plus de vingt mille s’assirent à quelques mètres du vieux chêne, et, impitoyablement, ils le peignirent… On le voyait aussi, dans des boutiques, sur des galets, sur des coquilles nacrées, sur des boîtes…Il est mort, dégoûté de sa gloire, et, surtout, d’avoir,