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des mensualités épatantes… et que, de tout cet argent, pas un centime… non, parole d’honneur !… pas même un bouquet de violettes de deux sous… n’est allé à ma femme… crois-tu que cela va être rigolo ?… Et pourquoi aurais-je apporté même un centime dans un ménage où je vis si peu… où je ne mange pas deux fois la semaine… où je ne reçois pas mes amis ?… Voyons, là, est-ce juste ?…

— Et maintenant, que vas-tu faire ?… Divorcer ?

— Mais je ne peux pas… mais elle ne veut pas… Et c’est par là que ma situation se complique.. Ma femme est furieuse… elle me déteste… oui… mais au fond, elle m’admire… Jamais elle ne m’a autant admiré que maintenant… Elle se dit : « Puisqu’il a touché, il touchera encore… C’est à moi de surveiller le pot-de-vin, d’empêcher qu’il le porte ailleurs que chez moi. » Sa grande colère, ses menaces, c’est du décor tout simplement… Sa petite comédie finie, elle remisera son décor… pour tendre sa bourse.

— Eh, bien, alors, il n’y a rien de perdu…

— Tout est perdu, au contraire… Ma vie est perdue… Car, pour toucher des quarante-sept mille francs qu’il faudrait désormais partager avec ma femme… ah ! non, par exemple ! .. J’aime mieux ne rien toucher du tout…

Je ne savais que lui dire, son cas me paraissait insoluble.