Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/194

Cette page n’a pas encore été corrigée

J’ai commencé par affirmer que cette somme, je l’avais donnée à des pauvres, à des grèves, à la souscription Floquet… Ça n’a pas pris, d’autant que Floquet n’était pas mort à cette époque, et que lui-même… Ah ! le pauvre Floquet !… Ensuite, j’ai déclaré que j’aurais rougi d’apporter dans mon ménage, si austère, si estimé, l’impur argent de la honte, de ma conscience vendue, de mon déshonneur… Tout, plutôt que cela !… Ah ! si tu avais vu la tête que faisait ma femme… Non, vraiment, ce que les femmes se moquent de ces grands sentiments-là… c’est effrayant, mon pauvre vieux… La mienne suffoquait de rage… Elle hurlait : « Canaille ! bandit !… tu touchais des quarante-sept mille cinq cents francs… vendu… traître… espion… et moi, je n’en ai pas eu un centime !… Quarante-sept mille cinq cents francs… et je me privais de tout !… Et j’économisais sur mes chapeaux, mes robes, sur la bougie, sur le gaz, sur la boucherie !… Et je refusais toutes les invitations !… Et je n’ai pas été une fois à l’Élysée… ni au gala de l’Opéra… ni nulle part… Et je restais là, parmi mes meubles fanés, comme une bête malade, dans un coin… Ah ! la crapule !… la crapule !… la sale crapule !… Dire qu’il y a plus de cinq ans que je désirais un salon anglais… qu’il le savait, le misérable voleur !… et qu’il n’a pas eu le cœur de me le payer sur les quarante-sept mille francs qu’il touchait !… Ah ! c’est comme