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c’était composé… c’était ça, quoi ! Un grand artiste, mon père Plançon, tout simplement… Des rôles modestes, c’est possible… mais un grand artiste, vous étiez un grand artiste… Pas d’erreur là-dessus…

— La nature, monsieur le directeur… j’ai étudié la nature… expliqua le vieux figurant qui, se rengorgeant à ce compliment, tenta de redresser sa taille un peu voûtée.

Et il ajouta :

— La nature et la tradition… tel fut mon secret…

— Mais oui, mais oui !… Ah ! des domestiques comme vous, on n’en fait plus, aujourd’hui… La graine en est perdue, au théâtre, comme à la ville, d’ailleurs. Allez donc demander ça à des jeunes gens de maintenant !… Ah ! bien, oui… Donc, voici ce que j’ai décidé… On donnera, le mois prochain, votre représentation de retraite… On jouera : Gloire et Patrie, votre meilleur rôle… Ça vous va, hein ?… Ça vous chatouille dans votre amour-propre ?…

Sur un geste dont il ne voulut pas comprendre l’expression douloureuse :

— Mais si… mais si… insista le directeur… et c’est tout naturel !… Sacré père Plançon ! Quand, au deux, vous ouvrez les portes du salon, et que vous lancez votre : « Madame la comtesse est servie ! » c’est rudement empoignant, vous savez… c’est une page… ça vous prend là, il n’y a pas à dire… ça vous prend là…