Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/174

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sur un petit meuble, près de lui, et il reprit :

« J’achève… Aussi bien, il n’est que temps, et ces souvenirs me dévorent le cœur… Deux années passèrent. Je ne savais toujours rien ; je n’avais toujours pu rien apprendre de cet effroyable mystère qui m’avait, tout d’un coup, enlevé ce que j’aimais le mieux dans le monde. Chaque fois que j’interrogeais un fonctionnaire, je ne tirais de lui que ce « chut ! » vraiment terrifiant, avec quoi, au moment même de l’événement, partout, on avait accueilli mes supplications les plus pressantes. Toutes les influences que je tentai de mettre en campagne ne servirent qu’à rendre plus lourdes mes angoisses, et plus épaisses les ténèbres par où avait si tragiquement sombré la vie de la pauvre et adorable enfant que je pleurais… Vous devez penser si j’avais le cœur au théâtre, à mes rôles, à cette existence émouvante où je me passionnais tant, autrefois. Mais je ne songeai pas un instant, si pénible qu’elle fût, à la quitter. Grâce à mon métier, j’étais en rapports quotidiens avec d’importants personnages de l’Empire que, peut-être, un jour, je pourrais intéresser utilement à mon affreux malheur. Et je m’y acharnai, en raison des espérances possibles, lointaines, dont, par eux, j’entrevoyais la lueur trouble et confuse. Quant à l’empereur, il me conservait la même bienveillance, glaciale. Lui aussi, on