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il d’un air contrarié… ne pensez plus à ça… Il y a des choses auxquelles il ne faut, auxquelles on ne doit jamais songer.

« Et, brusquement, il me demanda force détails intimes sur une chanteuse française, acclamée, la veille, à l’Opéra, et qu’il trouvait très jolie.

« Enfin, huit jours après ces terribles événements – un siècle, je vous assure… ah ! oui un siècle d’angoisses, de mortelles souffrances, d’inexprimables tournures où je pensai devenir fou –, le théâtre donnait une représentation de gala. L’empereur me fit appeler par un officier de sa suite. Il était comme d’habitude, il était comme toujours, grave et un peu triste, d’une majesté un peu lasse, d’une bienveillance un peu glacée. Je ne sais pourquoi, de voir ainsi ce colosse – était-ce le respect, la peur, la notion enfin précisée de sa redoutable toute-puissance ? – il me fut impossible d’articuler un mot, un seul mot, ce simple mot de “grâce ! ” qui, tout à l’heure, emplissait ma poitrine d’espoirs, frémissait à ma gorge, brûlait mes lèvres. J’étais véritablement paralysé, et comme vide, et comme mort…

» – Mes compliments, monsieur… me dit-il… vous avez joué, ce soir, comme M. Guitry…

« Après quoi, m’ayant tendu sa main à baiser, il me congédia gracieusement. »

Le narrateur regarda sa montre, et compara l’heure qu’elle marquait avec celle de la pendule qui tictaquait,