pour y abriter, y dissimuler sa couvée, l’inviolable asile que doit être le cœur d’un enfant ou d’une petite fille. Ma sœur était vraiment de ces élues. Une seule chose me chagrinait en elle : l’extrême franchise de sa parole et l’indépendance frondeuse de son esprit qu’elle ne savait taire et cacher devant personne, même devant ceux-là en présence de qui il faut rester la bouche bien muette et l’âme bien close. Mais je me rassurais en me disant qu’à son âge ces petits écarts sont sans conséquence, bien que, chez nous, il n’y ait point d’âge pour la justice et pour le malheur.
« Un jour, rentrant de Moscou où j’étais allé donner quelques représentations, je trouvai la maison vide. Mes deux vieux serviteurs se lamentaient, sur une banquette, dans l’antichambre.
» – Où donc est ma sœur ? demandai-je.
» – Hélas ! fit l’un d’eux, car l’autre ne parlait jamais, ils sont venus… et ils l’ont emmenée avec la nourrice… Dieu l’ait en pitié !
» – Tu es fou, je pense ? criai-je… ou tu as trop bu ?… ou bien quoi ?… Sais-tu seulement ce que tu dis ?… Allons, dis-moi où est ma sœur ?
« Le vieux leva vers le plafond sa triste face barbue :
» – Je te l’ai dit, marmonna-t-il. Ils sont venus… et ils l’ont emmenée… le diable sait où !…
« Je crus que j’allais m’évanouir de douleur. Pourtant, j’eus la force de me cramponner à une portière, et, violemment, j’articulai :