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dire clairement que j’étais comédien. L’empereur Alexandre goûtait fort mon talent, fait d’élégance hautaine et de belle tenue, même dans l’émotion : quelque chose comme un Laffont russe, si vous voulez. Il venait souvent m’entendre en mes meilleurs rôles et, quoiqu’il ne prodiguât pas les démonstrations, il daignait m’applaudir aux bons endroits. C’était un esprit cultivé, et je le dis sans courtisanerie, dans les ouvrages dramatiques que je jouais, il prenait goût aux belles scènes, sans avoir besoin de recourir au protocole, lequel, d’ailleurs, n’existe pas chez nous. Que de fois Sa Majesté me fit appeler auprès d’elle, et me félicita avec cet enthousiasme spécial et glacé que peut se permettre un empereur absolu, qui est tenu à beaucoup de réserves en toutes sortes de choses. En Russie, vous savez, on n’est pas du Midi, et le soleil ne rit pas plus dans les âmes que sur les bois de pins neigeux, hantés des loups. Il n’importe. L’empereur m’aimait au point que, non content de m’applaudir en public, il voulait bien aussi me consulter, dans les grandes occasions, et seulement en ce qui regardait mon art, cela va de soi. Car, je l’ai déjà dit, il n’est qu’un Febvre au monde. C’est moi qui étais chargé d’organiser les représentations au Palais d’Hiver, et dans les autres résidences impériales, chaque fois que l’empereur y donnait des fêtes. Et mon crédit était tel que M. Raoul Gunzbourg commençait à me voir d’un mauvais œil, et me débinait perfidement auprès