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l’arroser… Et même, afin de donner à mon ami le temps de s’éloigner, j’engageai avec le cantonnier une conversation sur l’étrangeté pré-édilitaire de son appareil, mais Robert Hagueman m’avait aperçu, lui aussi.

— Ah ! par exemple ! fit-il.

Il vint à moi, plein d’effusion, et me tendant ses mains gantées de peau blanche :

— Comment, c’est toi ?… Et qu’est-ce que tu fais par ici ?

Il n’y a rien tant que je déteste comme de mettre les gens dans la confidence de mes petites infirmités. Je répondis :

— Mais je viens me promener… Et toi ?

— Oh ! moi !... je viens suivre un traitement… C’est le médecin qui m’envoie ici… je suis un peu démoli, tu comprends…

L’entretien prit, tout de suite, un tour banal. Robert me parla de Paul Deschanel, qu’on attendait pour le lendemain ; du Casino, qui n’était pas brillant cette année ; du tir aux pigeons, qui ne marchait pas…, etc.

— Et pas de femmes, mon vieux, pas de femmes !… conclut-il. Où sont-elles, cette année ? On ne sait pas… Sacrée saison, tu sais !…

— Mais tu as la montagne ! m’écriai-je… dans un enthousiasme ironique… c’est admirable, ici… c’est le Paradis terrestre. Regarde-moi cette végétation… ces phlox, ces leucanthèmes qui atteignent la hauteur des hêtres…